mardi 22 mai 2007

La technique et le danger : le cas Heidegger


Dans l’émission Terre à Terre sur les catastrophes , Heidegger est souvent cité par Yves Dupont le coordinateur du Dictionnaires des risques. En particulier parce qu'il est un penseur de l'arraisonnement de notre culture par la technique, ("la science ne pense pas"). Mais aussi parce que la langue, la parole est pour lui le lieu où se préserve l'être. Et que Yves Dupont constate les ravages de ce qu'il appelle la dé-symbolisation . L'oubli de la langue chez les populations jeunes en particulier, en raison du développement des technosciences (les écrans, les portables etc) et qui correspond justement chez Heidegger à l'oubli de l'être.

J'engage ici une analyse des rapports entre conscience et danger en prenant pour fil conducteur deux phrases du poète allemand Friedrich Holderlin devenues célèbres à la suite du commentaire Heidegger (conférence sur la technique). Mon objectif est d’avoir la conscience la plus juste de notre situation et ne pas céder au sentiment d’impuissance.

Dans la question des réponses à trouver face aux dangers, les enjeux me semble être les suivants : la déconstruction de la logique du productivisme, mais tout à la fois de tout finalisme et de toute idéologie ou croyance. La prise en compte de l'Ensemble (le plan d'univers sur lequel nous sommes). Les rapports entre conscience et acte. La mobilisation, l'implication personnelle.
Extraits du texte de la conférence de Heidegger sur : http://agora.qc.ca/textes/heidegger.html

A.A.

La catastrophe et Heidegger

Dans la conférence de 1953, La question de la technique, (Essais et conférences, Gallimard Tel) Heidegger reprend donc cette parole du poète allemand Holderlin devenue célèbre :
« Là où est le danger, grandit aussi ce qui sauve ».
Heidegger la met en rapport avec une seconde phase devenue tout aussi célèbre de Holderlin :
«L’homme habite en poète sur Terre ».
Ces deux paroles résonnent aujourd’hui étrangement. Cependant que se pose l’alternative dessinée vers la fin de cette émission Terre à terre et qui nous vient à l'esprit de façon de plus en plus lancinante : le rebond humain se fera-t-il à partir de nouvelles catastrophes, ou bien de façon à les anticiper et à y apporter des réponses, à partir de la conscience que nous pouvons en avoir. Et si n'avions plus pour choix que de nous laisser aller au bout d'un processus qui verrait le mal au comble de son déchaînement, se retourner par lui-même et dirait la vérité de l’être. Le mal c'est à dire l'arraisonnement de l'être par la technique et nous dirions aujourd'hui du productivisme dans le sens d'un toujours plus quantitatif de profits. Un peu comme si aujourd’hui nous pensions, je reprends les termes de l’émission Terre à Terre, que la catastrophe de Tchernobyl ne peut se reproduire dans d’autres circonstances parce qu’elle a simplement déjà eu lieu.

L’avantage de la position de Heidegger est de montrer le voilement, par la puissance de la technique (par les technosciences, mais pas seulement), de la créativité intrinsèque de l'être. Celle dont nous aurions aujourd'hui besoin et qu'il va nous falloir aller chercher. (c'est le : ce qui sauve). L’inconvénient de sa position est de refuser simultanément, dans une position de surplomb, les aspérités historiques concrètes comme si c’était trop trivial, pas assez noble, étant soumis justement au déchaînement de la technologie industrielle. Si le débat engagé est "philosophique", peut-il se déployer au-dessus de la contingence immédiate des choses dés lors qu'il a trait à cette contingence, sous les aspects du danger. On ne peut pas admettre que la dimension d'historialité de l'être selon Heidegger, manque l'histoire, les situations, les réalités des sociétés et leurs enjeux. Comme si ce n’était que les péripéties de ce qu'il nomme : l’oubli de l’être (de tout ce qui est). Comme s’il fallait effectivement attendre des processus, de l’arraisonnement (pas que technique mais aussi productiviste) que cela aille au bout de sa logique, de son processus et donc de son désastre.
En tout cas la question se pose, nous tournons autour d’elle. Yves Cochet nous a rappelé la phrase de Heidegger : la science ne pense pas. L’ouverture de l’être correspond pour lui à l’ouverture de la pensée, et chaque époque a son ouverture dans laquelle se déploie l’ensemble de ce qui est. L'ouverture de l'être, correspondant à notre époque est soumise à la technique et de fait voilée par elle, voilà sa thèse. Il me semble quand à moi que c'est l' historialité de ce processus qui est à déconstruire, dans ce qu'elle comporte de téléologique, c'est à dire de finalité irréversible au bout de laquelle il s'agirait d'aller. Il ya là un enjeu pratique et théorique. Comment pouvons-nous penser et agir à partir de la logique du productivisme (de l'arraisonnement) qui mène à notre perte. Il ne suffit pas de dire qu'elle peut-être mise au service du bien ou du mal, du monde libre, du nazisme ou du communisme. Il ne suffit pas de dire que nous devrions simplement l'arrêter. Nous sommes génés aux entournures. Nous sommes mis en demeure d'inventer une nouvelle posture. Inventer c'est ce qvers quoi Heidegger fait signe quand il montre que la poèsie à laquelle il attache une importance essentielle, a pour éthymologie poiesis qui désigne pour les grecs anciens la puissance de création.
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Cependant je ne trouve pas dans la position de Heidegger assez de considération pour ce que Heidegger nomme "l’étant", c'est à dire pour les choses en train d’être - en dehors de leur sphère noble, artistique, philosophique ou poétique, où d'après Heidegger ce qur les choses sont, trouve à se rassembler et à être pensé. Alors que ce qui nous arrive aujourd’hui donne au contraire des motifs de pensée. Dans ce débat avec Heidegger il est intéressant de savoir si ce qui nous arrive ne nous pousse qu’à la simple réaction ou à l’action nouvelle. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes déjà dans un grain vulgaire réel, nous ne pouvons y échapper, pas d’issue moins que jamais. Il ne nous reste qu’à être au plus près de la matérialité des processus fussent-ils les plus noirs, les plus terribles, les plus abjects, au ras des pâquerettes. A les regarder pour ce qu’ils sont, pour qu’à ce seuil nous ne soyons plus pétrifiés - en position de victimes ou de futurs survivants. Mais au contraire vivant notre ordinaire et nous donnant les moyens de l’aimer sous toutes ses coutures et dans tous ses prolongements. Notre manière de penser notre réalité est d’abord de l’accueillir. C’est essentiel pour observer la courbe des processus qui nous menacent, pour les contrer ou surfer dessus au bout du possible. Pour décider personnellement et collectivement ce que nous devons immanquablement sacrifier ou bien transformer de nos modes de vie - de façon prosaïque en dehors de toute jouissance sacrificielle.

La question se pose de savoir si nous nous impliquons à éviter les catastrophes, ou bien si de toute façon, vu l’ampleur des phénomènes et ne pouvant les éviter, il ne nous reste plus qu’à courber comme le roseau et prendre la leçon des choses pour ressusciter des cendres. Il se peut qu’il n’y ait pas d'incompatibilité entre les deux options. Nous ne devons rien écarter et regarder l’impossible qui nous arrive. Quand bien même des catastrophes sont imminentes à l’échelle d’une génération, rien ne m'autorise à me laisser voluptueusement y sombrer, si j'ai encore du respect pour moi-même et la préciosité du Monde.
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