vendredi 3 avril 2020

2008-2020 De Monsanto au Corona, deux dates phares de l'humanité et sa conscientisation



Ce site a été créé en 2008 suite à la transcription* d'une des émissions sur Fance-Culture de Ruth Stegassi "Terre à terre" consacrée au risque. Celle-ci faisait part de l'incroyable déni dans lequel nous étions face aux dangers.


La même année le documentaire de Marie-Monique Robin sur Monsanto vient faire brèche dans l'histoire de ce déni. Une brèche dans la logique du système productiviste de l'économie capitalisme. En l'espace de 12 ans, nous avons considérablement avancé en termes de conscience. Jusqu'au fait de nous dire que nous n'avancerons jamais assez vite, en regard de l'avalanche des futurs évènements.


Mars 2020, nous prenons la mesure concrète de la fragilité de notre existence collective, de l'espèce humaine - qui nous renvoie à celle de la vie sur Terre.

A partir de là, nous ne pourrons plus faire autrement que de devenir prospectifs. C'est à dire nous mettre en condition de devancer les catastrophes**.  Beaucoup ont critiqué le principe de précaution mais dans ce contexte il va falloir lui trouver une autre traduction de telle sorte que nous devenions résilients avant même le trauma. Ou bien plutôt de nous donner toutes les conditions d'être résilients au moment des traumas dans leur succession voire même leur superposition ; en nous y préparant non pas à côté des autres activités usuelles, mais en intégrant l'ensemble des activités humaines dans cette préparation. L'ensemble.

Mais dans le fond n'était-ce pas déjà ce que nous faisions sans y penser, comme une seconde nature dans ce qu'on appelle l'instinct de survie. La différence ici c'est de nous mettre en condition de le penser, ce qui donne à l'activité même de penser une autre inflexion. Par exemple que cette activité de penser soit un moment de la vie et lui soit indissociablement liée. Jusque dans des formes à inventer ensemble que nous ignorons encore. Par définition le commun est commun, c'est donc une invitation  pour mieux penser à plusieurs...

 Je viens de rajouter à ce texte, plus haut quelques illustrations. On ne peut qu'être étonné de la première image qui montre des gens masqués. Ils le sont en raison de la pollution terrible des villes en Chine, la prise de vue est antérieure à la pandémie. Sans que l'on ne sache si, dans la série des catastrophes il y a un lien, la figure du masque permet au moins une liaison entre ce qui revient au présent risque sanitaire dû à un virus et ce qui revient aux risques environnementaux dont la responsabilité humaine est avérée. Mais aussi de la façon dont nous sommes amenés à agir pour nous en prémunir ou nous en protéger au mieux. La question se repose quoiqu'il arrive et dans tous les cas du rapport de la technique à la nature.


Mise en perspective historique :  Je n'étais pas certain que l'analyse proposée sur ce site en 2008, le passage par Hölderlin, Heidegger, les notions de Pharmakon ou d’arraisonnement***, soient indispensables pour penser la nouveauté de ce qui advient. J'ai en refait une lecture profitable à la lumière de l'évènement de la crise du Corona. Voici ce qui me parait à reprendre de la conférence de 1957 La question de la technique : ce qui sauve c'est l'incroyable capacité créatrice des humains qui émerge à l'occasion du "grippage" de la machine économique et de la production, l'arrêt de l'arraisonnement. En gros Heidegger nous dit que cette capacité est l'envers du procès de production qui met en demeure la nature comme un fonds exploitable. Et il y inclut dans cette exploitation l'être humain. Cet arrêt du coup remis en route ce qu'il voilait : la création, l'invention, l'art, la poésie, et je dirai la parole. Un peu comme dans les périodes révolutionnaires ou de contestation forte on voit fleurir un autre usage du langage et de belles expressions. Les décroissants depuis 2008 qui est pour nous notre date charnière parlent bien de décoloniser l'imaginaire, et ils l'ont fait dans une mesure certaine à la Zad. Mais c'est le propre de n'importe quel mouvement collectif.

J'ai trouvé néamoins une analyse très proche chez Harmunt Rosa dans son dernier ouvrage de janvier 2020 Rendre le Monde indisponible, aussi bien que dans son article Le Miracle et le monstre - un regard sociologique sur le Coronavirus publié le 14 avril 2020 dans AOC, reprise ici.


En revanche à la relecture me frappe entre la période de 2008 et aujourd'hui, un ensemble d'évènements qui indiquent une variation sensible du cours de l'histoire : Par exemple 2008 ce n'est pas encore l'émergence de la Zad malgré le mouvement de contestation contre le déplacement de l'aéroport vers Notre dame des landes ; Nous en étions au balbutiement du mouvement décroissant à Nantes. Le concept de collapsologie apparait en 2013 date de parution de l'ouvrage Penser la décroissance : politiques de l'anthropocène de Agnès Sinaï, co-fondatrice du laboratoire d'idées prospectives Momentum qu'elle fondée entre autre avec Yves Cochet qu'on retrouve dans l'émission de Terre à Terre qui est l'objet de ce site - ceci dans la foulée de la catastrophe nucléaire 2011 de Fukushima - dont l'origine notons-le est un tsunami, évènement "naturel" . Le concept d'anthropocène émerge lui en 2012 et est officialisé en 2016.
Par ailleurs au niveau politique des forces de contestation ou de résistances, constatons en vrac et ce mélange n'est pas rien dans ces contrastes : l’émergence de Daesh, celle de Nuit debout, des printemps arabes, des populismes européens, des gilets jaunes ; le renouveau de la contestation syndicale avec la loi travail, la mise en place d'une nouvelle adaptation au capitalisme, l'effondrement des partis traditionnels de droite et de gauche, l'incroyable fatigue démocratique, la crise de la représentation ; L'arrivée au pouvoir de Podemos en Espagne, celle d'Obama aux usa, puis celle de Trump. Dernièrement, une nouvelle contestation plus globale des peuples au Liban, en Amérique du Sud, en Iran partout dans le monde etc...
En l'espace de 12 ans le paysage a considérablement bougé, ce qui indiquerait que l’ensemble des phénomènes trouvent peu ou prou à se croiser. Tandis qu’une accalmie, un consensus provisoire se reforme à chaque catastrophe pour trouver des réponses, (après les attentats terroristes, pendant cette pandémie).

Ne faut-il pas voir dans ces soubresauts de l'Histoire, une image et un mouvement, une métaphore et une métonymie, celles d’énergies qui cherchent à tâtons une nouvelle façon de composer, l'aspiration à une organisation systémique de la société aussi bien que de la nature, où la nature enfin reprend ses droits. Retour du politique. Ma tâche à venir, pour ce qui est de créer un centre de recherche sur la résilience territoriale, en particulier celle des quartiers populaires), est de faire de cette notion de résilience un concept prospectif).


Alain ARNAUD

le 20 mars 2020
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*Sur un site Belge sur lesquels les émissions de Ruth Stégassi sont toujours accessibles)

** Rajout du 22 mars : C'est exactement le propos de la vidéo posté le 17 mars par Aurélien Barreau

*** On pourrait tenter reprendre sur la notion d'arraisonnement sous un angle politique : l'imbrication dans la mise en place des politiques, entre le technique, le commercial et l'expertise, met à distance l'initiative et la force propositionnelle, les forces vives des pays et des villes. C'est le fameux déficit démocratique. On le voit au niveau local où le dialogue entre les techniciens et les élus court-circuite l'initiative citoyenne. Il est de tout première urgence de repenser la démocratie. Afin que nous soyons à égalité dans la réflexion voici le texte intégral de Heidegger "La question de la technique" (Essais et conférences" Tel Gallimard)

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