« Ne pas retourner au travail mais retourner dans nos lieux de travail
pour y tenir des assemblées où décider de ce que nos productions doivent
devenir : être arrêtées ? ré-orientées? relocalisées ? »
« Comment ne pas redémarrer pour tout recommencer ? »
Dans
une tribune au « Monde » quarante-quatre hommes et femmes politiques,
intellectuels et militants engagés à gauche lancent un appel pour
construire après l’épidémie un monde qui ne repose plus sur un
« individualisme égoïste et concurrentiel promu par le néolibéralisme »
mais qui propose « des modèles alternatifs ».
Tribune.
En 1971 commence à être
publiée une bande dessinée qui devient un film en 1973 : « L’an 01 ».
Dans ce récit haut en couleur des utopies de cette période, la
population décide de tout arrêter – production, travail, école, etc. -
et de se mettre à réfléchir à ce qui doit être redémarré ou pas. Les
usines de voiture ? Les fabriques de pâtes ? Les grands magasins ? les
grandes fermes industrielles ? Dès les premières pages de la bande
dessinée, le ton est donné : il faut arrêter ce mode de vie qui n’a plus
de sens et qui mène la planète à la catastrophe.
Aujourd’hui,
nous n’avons pas choisi de nous arrêter. Mais, comme au début des
années 1970, le non-sens – ou plutôt le contresens – de ces modes de vie
et de production, la catastrophe vers laquelle ils nous amènent, nous
invitent à notre tour à ne plus vouloir redémarrer sans savoir ce qu’il
faut redémarrer, ce qu’il faut transformer et ce qu’il faut arrêter
absolument.
La
tentation – en particulier d’une réponse « de gauche », mais pas
seulement – est, comme dans l’après seconde guerre, d’une grande
« relance ». La tentation est d’autant plus grande qu’elle apparaîtrait
comme une victoire face à l’orthodoxie européenne austéritaire qui
impose aux Etats de ne pas dépasser les 3 % de déficit budgétaire
annuel.
Des interrogations sur l’utilité du travail
Si
la crise du Covid-19 va être le drame de millions de morts, de blessés,
de chômeurs dans le monde, la reprise économique pourrait être un
nouveau drame : celui, après une baisse massive des émissions de CO2
pendant la pandémie, d’un effet rebond où la relance de l’économie
ferait exploser les émissions de gaz carboniques. Pour autant, cette
relance - parce qu’elle resterait dans le cadre d’une économie
mondialisée dans un sens ultralibéral et productiviste - reproduirait
les mêmes impasses qu’avant la crise.
Elle
ne prendrait pas à bras-le-corps combien - comme l’a encore montré
cette crise - le souci de l’autonomie individuelle va de pair avec la
consolidation des liens sociaux et institutionnels. Elle pourrait
s’accompagner, pour « lever les freins » à la croissance, de nouvelles
remises en cause du droit du travail, des dispositifs de solidarités
collectives, des contraintes environnementales, sans compter les
limitations aux libertés publiques. Elle serait antisociale,
anti-écologique et liberticide. Nous refusons d’être mis devant ce fait
accompli.
Pendant l’épidémie
des millions de travailleurs se sont très concrètement interrogés sur
l’utilité de leur travail, des millions de personnes se sont interrogés
sur l’absence de sens de leur vie d’avant, même si la vie pendant le
confinement était difficile. Il nous appartient de faire que ce
questionnement s’approfondisse et débouche sur des reconversions très
concrètes elles aussi.
Dès
à présent, à rebours de l’individualisme égoïste et concurrentiel promu
par le néolibéralisme comme des modèles alternatifs soit disant « collectivistes »,
mais en réalité étatistes et bureaucratiques qui ont failli hier, ce
qu’il faut discuter ce n’est pas comment tout va redevenir comme avant
mais comment, dans un monde nécessairement interdépendant, rien ne doit
être comme avant si nous voulons vraiment tirer les leçons de la
pandémie actuelle.
La question de comment terminer le confinement général
Pendant
le confinement, il nous faut continuer ces débats, ces prises de
positions, ces échanges sur ce qui ne doit pas continuer comme avant. Il
faut trouver les formes pour faire converger ces réflexions. Avec un
nouvel agir, mû par le désir de vie et de solidarité nous devons mettre
en débat la question de comment terminer le confinement général.
Ne
pas retourner au travail mais retourner dans nos lieux de travail pour y
tenir des assemblées où décider de ce que nos productions doivent
devenir : être arrêtées ? Réorientées dans un sens soutenable
écologiquement, socialement, moralement ; relocalisées en mondialisant
autrement, via le développement des coopérations et des solidarités
internationales ?
Ne
pas retourner dans les cafés et les restaurants pour relancer la
consommation mais pour y tenir aussi des assemblées et en faire les
nouveaux « clubs » révolutionnaires de quartier où nous inventerons
concrètement le nouveau monde ? Le confinement général doit-il se
terminer par une grève générale ? Sortir de chez nous pour ne pas
retourner au travail mais dans les rues pour obtenir la démission des
pouvoirs en place ?
Comment
ne pas redémarrer pour tout recommencer ? c’est ce dont il faut discuter
avant que la folie de nos vies ne nous emprisonne à nouveau.
Les membres du collectif sont :
Geneviève Azam, essayiste, membre d’ATTAC ; Christophe Aguiton, altermondialiste ; Paul Ariès, directeur de l’Observatoire International de la Gratuité (OIG) ; Clémentine Autain, députée LFI ; Ludivine Bantigny, historienne ; Olivier Besancenot, porte-parole (NPA) ; Christophe Bonneuil, historien ; Jacques Boutault, maire EELV du 2e arrondissement de Paris ; Thierry Brulavoine, cofondateur de la Maison commune de la décroissance ; Leïla Chaibi, députée européenne LFI ; Yves Citton, philosophe ; Patrice Cohen-Séat, président honoraire d’Espaces-Marx ; Alain Coulombel, EELV ; Philippe Corcuff, sociologue et militant libertaire ; Thomas Coutrot, économiste ; Jean-Luc Debard, militant associatif, Alternatives et Autogestion de Gardanne (Bouches-du-Rhône) ; Véronique Dubarry, élue écologiste de l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ; Guillaume Faburel, géographe ; Patrick Farbiaz, cofondateur de PEPS ; Jean Fauché, militant associatif, syndicaliste ; Elsa Faucillon, députée PCF ; Yves Frémion, écrivain ; Pierre-François Grond, membre d’Ensemble ; Emilie Hache, philosophe, université Paris Nanterre ; Jean-Marie Harribey, économiste, université de Bordeaux ; Pierre Khalfa, économiste ; Marjorie Keters, militante associative à Alliance contre les crimes industriels et pour le droit à un environnement sain (Acides) ; Jean Lafont, militant écologiste, cofondateur de PEPS ; Stéphane Lavignotte, théologien protestant, pasteur, militant écologiste ; Michel Lepesant, cofondateur de la Maison commune de la décroissance ; François Longérinas, journaliste, militant du mouvement coopératif ; Michael Löwy, chercheur émérite CNRS ; Elise Lowy, militante écologiste, cofondatrice de PEPS ; Noël Mamère, écologiste ; Philippe Mangeot, enseignant ; Philippe Marlière, politologue ; Bénédicte Monville, conseillère régionale d’Île-de-France, PEPS ; Laura Morosini, présidente de Chrétiens unis pour la terre ; Nathalie Palmier, PEPS ; Willy Pelletier, sociologue, coordinateur général de la Fondation Copernic ; Claude Rossignol, militant Associatif, Alternatives et Autogestion de Castres (Tarn) ; Pablo Servigne, agronome, biologiste ; Yves Sintomer, sociologue ; Christian Sunt, Décroissance Occitanie ; Jacques Testart, biologiste, essayiste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire